L’EHPAD est-il le haut lieu de la conformisation ? (Réponse de Annie ERNAUX, Prix Nobel de la Littérature)

Qu’il s’agisse d’une chambre d’étudiant, d’une maison familiale ou d’une cabane dans les bois, la perception de l’habitat se multiplie en fonction des individus. A la fois miroir de ses propriétaires mais aussi lieu de vie, la pandémie mondiale de 2020 a fait réaliser aux individus l’importance de la maison. Cependant, le confinement a mis en lumière de nombreuses inégalités en ce qui concerne le logement.
En effet, Annie ERNAUX, écrivaine actuellement en promotion pour son nouveau livre Le jeune homme, Prix Nobel de la Littérature, s’attarde sur le quotidien parfois répétitif des patients d’une maison de retraite dans sa nouvelle intitulée Visite (tirée du recueil Hôtel Casanava et autres textes brefs). Elle dépeint une quarantenaire active se rendant auprès de sa mère dans un EHPAD, ce qui va créer l’émoi de cette dernière. Chaque visite la sort de son quotidien insipide.
Dans ces conditions, il serait intéressant de se demander si L’EHPAD est le haut lieu de la déshumanisation ?
Il sera analysé dans un premier temps le conformisme qui y règne puis cette affirmation sera nuancée.

Tout d’abord, il serait judicieux d’observer que l’autrice, Annie ERNAUX, ne prend pas le soin de donner un patronyme à ses personnages. L’exercice de la nouvelle exige à ce qu’on cible les détails qui compteront pour le reste de l’histoire. Il peut donc être imaginé que l’écrivaine a respecté cette règle en se concentrant uniquement sur les conditions de vie des résidents et non sur leur identité. Elle désigne la patiente en déclarant “la mère de la fille” (ligne 8), puis “la fille” (ligne 18) pour la seconde protagoniste. Elle s’attarde donc sur leur lien de parenté. Les personnages secondaires, quant à eux, se feront nommer “un homme en pyjama bleu” (l.18-19) “une femme au chignon blanc” (l.19-20), “l’infirmière” (l.46). En d’autres termes, ERNAUX ne creuse pas leur histoire. Elle offre une vision superficielle des êtres qui animent l’endroit, ce qui renforce une atmosphère glaciale audit lieu.

De même, ERNAUX ouvre la nouvelle en décrivant un hall démuni d’individus, d’émotions et de sentiments, éléments propres à la condition humaine. Le dimanche étant le jour où l’on consacre son temps à sa famille et/ou ses proches, le paradoxe est donc instauré dès la première phrase. Une fois que “la fille” arrive au cinquième étage, l’écrivaine va multiplier les termes renvoyant au conformisme. Il peut être noté “Toutes” (ligne 7), “pareilles à elle” (ligne 10), “comme la fille” (ligne 10), “beaucoup de femmes” (ligne 15), “suit sa fille” (ligne 51), “exactement son âge” (l.58-59). Il peut être émis l’hypothèse qu’ERNAUX désigne le peu d’intérêt que l’on porte aux retraités, personnes qui ne contribuent plus à l’économie du pays. Ces dernières sont oubliées, délaissées par le gouvernement (et parfois par les familles !) et vivent dès lors en marge de la société.

Toutefois, il est important de noter que la mère à qui l’on rend visite désire ardemment se distinguer des autres résidents. Elle ne semble pas vouloir appartenir à ce groupe. ERNAUX met en exergue ce caractère dès l’arrivée de la fille dans la maison de retraite. L’auteure insiste sur le fait que la dame âgée est traversée par des sentiments contradictoires. Partagée entre la fierté d’être celle à qui l’on rend visite, mais aussi honteuse de recevoir sa fille dans ces conditions (“honte de se trouver là au milieu des autres femmes, pareilles à elles”, lignes 9-10). La vieille dame veut revendiquer son identité avec force. Elle feint donc d’être débordée par les occupations afin de se distinguer des autres, qui sont dans l’espoir (ou le désespoir ?) de recevoir leur famille (“bien montrer qu’elle a mille choses à penser ici, elle n’attend pas après les visites”, lignes 14-15).

La protagoniste a une identité bien ancrée. L’écrivaine nous incite à connaître sa singularité à travers des traits représentatifs et non son patronyme. La dame est coquette et ce sont les habitudes développées à travers les années, les rituels qui vont la différencier. Il peut être cité le passage où sa fille va la parfumer, lui appliquer les crèmes (“Ca va mieux après un brin de toilette”, dit la mère. C’est une phrase d’avant, quand elle venait de se laver et de se maquiller, après avoir fait le ménage.” lignes 34-35). Le souci de l’esthétisme, de plaire, de vouloir se faire aimer éclaire le passé de la protagoniste, nous en dit un peu plus sur sa personnalité.

Au terme de cette analyse, ERNAUX dépeint un EHPAD où règne la monotonie, où l’événement le plus banal (=comme la visite d’un proche) se transforme en moment de fierté et de joie car ce qui vient de l’extérieur symbolise le renouveau pour l’intérieur. Les soins apportés aux patients sont répétitifs, tout comme les activités, ce qui peut mettre en lumière ce caractère déshumanisant. Toutefois, chaque être détient une histoire, des expériences, une personnalité qu’il est difficile de sacrifier. Par conséquent, il peut être affirmé que l’identité individuelle, si on prend le temps de la connaître, se revendique davantage dans les parties privées (=la chambre). A l’inverse, les parties communes de la maison de retraite mettent davantage en avant une identité collective. 



Michaël BRICE

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